Table ronde :
Que penser de ces évolutions ?
Comment poursuivre l’internationalisation avec de nouveaux dispositifs moins coûteux ?
Animée par Frédéric Ferrer, journaliste et maître de conférence à l’ESCP-EAP
Intervenants :
Laurence AVRAM-DIDAY,Avocat Associé, Head of Human Capital, ERNST&YOUNG
Eugenia FORNIERI, Directeur Mobilité Internationale Groupe, DANONE
David PAYET-PIGEON, Head of International Mobility, L’OREAL
Brigitte POINCLOUX, Vice President compensation and Benefits, ALSTOM
La crise économique est l’invitée de tous les débats de cette année 2009. A ce titre, la mobilité internationale, réputée coûteuse, place les entreprises devant un dilemme. Les perspectives de développement des marchés sont définies aujourd’hui à une échelle mondiale. Comment alors poursuivre la croissance à l’international dans un contexte de resserrement des budgets ?
Les trois entreprises présentes sont une bonne illustration de ce phénomène. Elles présentent plusieurs points communs :
- Une forte part de leur activité à l’international (plus de 50% du CA et des effectifs dans les trois cas).
- Plusieurs centaines d’expatriés répartis dans le monde entier, avec des profils diversifiés (jeunes potentiels, managers, dirigeants…) et transversaux (mobilité entre pays tiers).
- Une activité peu impactée par la crise : celle-ci se traduit par une réduction de la croissance et une volonté de rigueur dans la gestion des coûts.
Ces entreprises ont une bonne expérience de la gestion de la mobilité internationale et ont donc déjà mis en place des politiques élaborées. Néanmoins, toutes sont dans une logique de réduction des coûts et d'équité entre les salariés du groupe. Quelles sont les tendances constatées ?
Ø La fin des politiques uniformément généreuses, avec une tendance à la différenciation des packages selon les pays, le type de mission, le niveau d’expérience.
Ø Une limitation, voire une suppression des primes d’expatriation, excepté dans les pays particulièrement difficiles.
Ø Un salaire défini le plus souvent sur une approche « Local plus » dans les pays proches (Europe Occidentale).
Ø Une limitation des dépenses liées au logement et aux voyages : la nature et le montant des dépenses sont surveillés de près. De plus en plus, les salariés doivent prendre en charge une partie (parfois l’intégralité) de ces dépenses. On observe parfois l’attribution d’une sommes globale plafonnée que l’expatrié est libre d’affecter comme bon lui semble (logement, voyages, scolarité…). Ce point a d’ailleurs été évoqué dans d’autres tables rondes par d’autres entreprises.
Ø Un développement marqué du commuting : ce n’est pas un objectif formulé officiellement mais une tendance de fait.
Ø Un maintien du niveau de protection sociale.
Ø Une volonté de développer à terme les compétences dans les pays émergents (le nombre d’expatriés ne diminue pas pour l’instant mais la réflexion est engagée).
Les entreprises essaient d’améliorer leurs systèmes d’information pour avoir une visibilité claire des coûts de la mobilité. Cette démarche est confirmée par le point de vue d’ERNST& YOUNG en tant que conseil. Il est encore possible de progresser dans la rigueur : suivi de l’évolution des règles fiscales et sociales des pays (afin de mettre à jour et optimiser les packages), impact sur la fiscalité des entreprises (les charges sont-elles déductibles au titre de l’impôt sur les sociétés ?). Le commuting doit être étudié avec soin car il est particulièrement complexe en matière de fiscalité. Les économies apparentes par rapport à un déménagement de la famille demandent à être étudiées au cas par cas.
Ces échanges ont confirmé les tendances constatées par des enquêtes récentes. Notamment l’étude d’ORC présentée le 27 mai 2009 à la Chambre de Commerce Américaine (AmCham). Les entreprises européennes, soucieuses de réduire les coûts de la mobilité, concentrent leurs efforts sur les points suivants (par ordre d’importance) :
- La réduction des voyages non essentiels.
- La localisation des expatriés (statut local chaque fois que c’est possible).
- L’optimisation des différentiels de coûts de vie.
- La différenciation selon le type de missions.
- La baisse des avantages logement.
Que penser de ces évolutions ?
L’âge d’or de l’expatriation où des conditions très généreuses permettaient aux salariés mobiles de s’enrichir semble bien révolu ! La rigueur est un acte rationnel de gestion et il est cohérent de s’en préoccuper. Toutefois plusieurs questions se posent :
Ø Attention à ne pas privilégier le court terme au long terme. La réflexion sur la baisse des coûts est délicate car relative à des enjeux de développement stratégique. Ce ne sont pas des coûts de fonctionnement, mais des investissements dont il faut pouvoir mesurer le retour. Jusqu’où aller dans la démarche ? Attention à ne pas franchir la ligne : il n’est pas bon (pour la réussite des missions) de faire partir des salariés trop mécontents de leur sort… avec le risque de ne plus avoir de candidat au départ in fine. Bien sûr, il est possible de développer les compétences des salariés des pays étrangers. Mais cela prend du temps, cela a un coût, et cela a des conséquences sur le mode de contrôle exercé à l’étranger, sur la coordination des projets, sur la constitution d’une culture groupe…
Ø La banalisation de la mobilité dans le cadre de la carrière redessine la répartition et l’organisation du travail à l’échelle de la planète. Des abus ont été observés dans le passé : une générosité excessive conduisait à constituer une caste d’expatriés privilégiés impossibles à réintégrer. A l’inverse, considérer la mobilité comme « normale », nier les difficultés qui peuvent être liées à cette condition, risque d’aboutir à l’effet inverse. La concurrence sur les marchés est désormais mondiale, y compris sur le marché du travail. Banaliser la mobilité renforce cette concurrence (entre les salariés…et entre les organisations) et il n’est pas sûr que ceci renforce l’engagement des salariés vis-à-vis de leur entreprise. Fidéliser les talents a aussi un coût…
Le problème est donc complexe. Une chose est sûre : la réduction des coûts ne doit pas être une fin en soi, mais doit être reliée aux enjeux globaux.C'est une réflexion transversale et pas seulement une affaire de techniques.
MH Millie
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