L’évaluation individuelle est en débat depuis quelques années déjà. Les systèmes mis en place par les entreprises ont fait l’objet de plusieurs ouvrages et études, souvent critiques. Le principe de l’évaluation n’est pas remis en cause fondamentalement, mais plutôt son organisation et sa finalité.
Début 2013, deux ouvrages ont été publiés sur le sujet :
-« La tyrannie de l’évaluation », par A.Del Rey
- « Evaluez-moi ! Evaluation au travail : les ressorts d’une fascination » de B.Vidaillet.
Ainsi qu’une étude très intéressante de HRValley : « Evaluation, la donne a changé ; regard sur une évaluation à bout de souffle et les modèles de demain ».
Les facteurs de risques par rapport à l’évaluation ont été largement décrits depuis plusieurs années :
- Le système est-il équitable et transparent ?
- Quels sont les risques de modification du comportement des acteurs ? L’évaluation sur des indicateurs de performance quantitatifs pousse parfois les individus à modifier leurs actions dans le sens de l’indicateur, avec des effets indésirables non envisagés au départ (travaux de M.Beauvallet).
- Comment apprécier à la fois les résultats et les efforts ? Cette question prend tout son sens dans des organisations de plus en plus complexes, avec des processus transversaux et des structures matricielles…et dans un environnement économiquement instable et incertain. Les individus maîtrisent de moins en moins les facteurs qui concourent à la réalisation de leurs objectifs (coproduction, instabilité, injonctions contradictoires…).
- Comment lier le collectif et l’individuel ? L’évaluation de la performance risque de renforcer les attitudes individualistes, au détriment de l’intérêt général. Dans une étude de 2011 (Ifop Methys) 74% des salariés pensent que les évaluations génèrent des rivalités entre eux. Le système d’évaluation individuelle repose en partie sur l’hypothèse que la performance collective est une résultante des performances individuelles. Cela n’a jamais été prouvé…
- Comment lier évaluation et rétribution (rémunération) ? Les primes allouées à la performance supposent que la motivation croît avec la rémunération : on travaillerait pour la « récompense » (motivation extrinsèque). Or il existe une autre forme de motivation, dite « intrinsèque » : on travaille aussi pour la satisfaction apportée par le travail bien fait, ou pour l’intérêt du travail. Certaines études (M.Beauvallet) montrent que l’attribution de primes, peut avoir l’effet inverse à celui escompté en diminuant la motivation intrinsèque, en particulier lorsque le montant est faible. L’économiste Uri Gneezy nous dit ainsi : « Pay enough or don’t pay at all ». Or en période économique difficile le montant à distribuer se réduit. Les études de rémunération 2012/2013 révèlent de bien modestes progressions salariales et des bonus peu généreux dans l’ensemble. Comment l’évaluation peut-elle encore servir à répartir la création de richesse en période de récession économique ?
- Les systèmes d’évaluation génèrent du stress et peuvent être facteurs de Risques Psychosociaux. (89% des salariés de l’étude Ifop Methys 2011 disent ressentir du stress à l’occasion des évaluations). On peut se référer à la note du Centre d’Analyse Stratégique « Pratiques de gestion des Ressources Humaines et bien être au travail : le cas des entretiens individuels d’évaluation en France (septembre 2011)»
L’étude de HR Valley reprend un certain nombre de ces arguments, mais son intérêt porte sur ces 3 points :
- Quelle est la finalité de l’évaluation ? Elle demeure indispensable comme outil de dialogue, comme acte de management et comme signe de reconnaissance, mais que veut-on lui faire dire ? Est-ce un outil de « partage des richesses », ou bien est ce un outil de « développement » ? Dans le premier cas on privilégie la mesure quantitative des résultats, dans le deuxième, on privilégie le développement des compétences.
- Comment organiser le dispositif d’évaluation ? Comment articuler l’entretien d’évaluation avec la négociation de la rémunération, les plans de formation ? Comment associer les managers ? L’étude ne fournit pas de solution toute faite mais observe la diversité des pratiques.
- Un point de vigilance : la mesure des aspects comportementaux a fait l’objet de plusieurs cas de jurisprudence. Attention à ne mesurer que des éléments en lien direct avec le travail : prendre garde aux critères moraux, aux valeurs, aux éléments de personnalité, plusieurs fois retoqués par les juges. Or ces éléments ont justement été introduits pour apporter une dimension qualitative et modérer les effets parfois simplistes des mesures quantitatives. Mais où placer la frontière ?
Les débats sont donc loin d’être clos.
la passion évaluative
Très clair article résumant ces débats essentiels.
Avec pour conclure une vraie question : où placer la limite en effet, lorsqu'il s'agit de "soft skills".
Pour mémoire : la Nouvelle Revue de Psychosociologie, outil d'échange et de débats souvent intéressants, a consacré un volume à l'évaluation (n°8 "La passion évaluative") daté de 2009 mais évidemment nullement démodé.
D. Rey