La culture du chiffre...voilà un des motifs de la manifestation des policiers ce jeudi 3 décembre 2009.
Les salariés du secteur privé ont intégré aujourd’hui cette évaluation de la performance basée sur des données quantitatives. Ils vivent dans « le monde enchanté des indicateurs ». ** Dans le secteur public, la mesure de la performance est une révolution culturelle qui se fait dans la douleur. La légitimité de ce système de management dans les administrations peut faire débat. Mais au delà, en matière de ressources humaines, cette mesure de la performance pose de nombreuses questions, et ceci quelque soit le secteur d’activité.
La « performance RH » est un des sujets favoris des DRH français : au 1er rang de leur préoccupation d’après une étude internationale du BCG en 2007, alors que les autres pays ne semblent pas s’y intéresser...
Que signifie donc la « performance RH » ?
Trois sens possibles :
- La performance « individuelle », liée aux systèmes d’évaluation, à la mesure des résultats obtenus par rapport aux objectifs.
- La performance « collective » : de quelle façon les salariés contribuent-ils au progrès et à la performance globale de l’organisation ? Quelle est leur productivité, leur contribution au CA, au résultat d’exploitation ?
- La performance de la fonction RH : en quoi les actions et investissements RH (recrutements, formation...) rendent –ils les salariés plus motivés, plus compétents...plus performants.
Quelque soit le niveau où l’on se situe, des batteries d’indicateurs alimentent tableaux de bord et reporting. L’organisation devient-elle pour autant plus transparente, plus efficace, plus « performante » ?
Je n’en suis personnellement pas convaincue. Plusieurs difficultés se présentent.
Attention aux interprétations simplistes : les comparaisons et les conclusions sont parfois trop hâtives. Compare t- on des choses comparables ? Les divergences peuvent venir des modes de calcul des indicateurs mais aussi des modes d’organisation des sociétés. En particulier sur les indicateurs de mesure de productivité. Rapporter un CA à des effectifs sans intégrer la sous traitance n’a pas de sens. Ne pas intégrer les aspects qualitatifs non plus.
En matière d’actions RH, difficulté à mesurer les relations causes-effets : on peut mesurer le coût des actions RH mais que mesurer en sortie ? Quel est le lien entre une formation vendeur et l’augmentation du CA ? Sait-on le quantifier ? Quel est le lien entre les actions de prévention du stress au travail et le climat social ? Quantité de facteurs internes et externes peuvent influer et le DRH n’est pas le seul en cause. Un mauvais climat social peut être lié à un problème de management, à une pression trop forte sur les résultats… et pas directement aux actions RH. Sujet d’actualité, les DRH étant en première ligne sur la problématique du stress au travail.
Difficulté à mesurer les coûts cachés, les dysfonctionnements sociaux. Vous pouvez mesurer le taux d’absentéisme, le taux de turn-over. Savez-vous combien ils vous coûtent ? Difficile à évaluer et pourtant indispensable car cela permettra de mettre en balance le coût des actions pour les réduire avec la diminution du coût du dysfonctionnement. De la même façon, les décisions économiques sont souvent prises sans intégrer les conséquences sur l’organisation. Un exemple : l’externalisation de la paie. On fait le calcul du coût du bulletin de paie sous traité à l’extérieur et on le compare au coût en interne pour conclure qu’il vaut mieux externaliser. En plus du fait que le calcul du coût interne peut être discutable (qui a la prétention de savoir calculer le « juste » coût ?)…on sous estime souvent les conséquences en matière qualitative, les erreurs qui vont suivre, les contrôles qui devront être multipliés, les réclamations des clients (salariés) …qui vont générer des pertes de temps en interne et donc un coût que personne ne sait vraiment évaluer.
Dépasser une vision à court terme : les indicateurs de performance doivent intégrer le potentiel de développement à LT, que ce soit au niveau de l’organisation ou au niveau des individus. Les décisions hâtives peuvent être dommageables à terme. Evidemment difficile à suivre en période de crise, quand on fait face à des difficultés de trésorerie. Réduire les coûts (voire les effectifs) améliorera les résultats à court terme mais peut déstabiliser l’organisation plus tard.
Les dérives comportementales induites par les indicateurs : l’imagination humaine est sans limite. L’indicateur peut montrer une bonne performance apparente mais celle-ci sera obtenue par un comportement dont le résultat à terme sera inverse de celui qu’on prévoyait. Récompenser le volume peut aboutir à une baisse de la marge ou à une baisse de la qualité (principal argument des policiers sur cette « culture du chiffre »). Les individus agiront dans le sens qui est mesuré par l’indicateur, au détriment des autres dimensions. Si on verse des primes aux salariés d’une administration en fonction du nombre de dossiers traités, il y a fort à parier que les dossiers difficiles seront souvent écartés au profit des dossiers faciles, qui permettent de faire du chiffre plus facilement (histoire vécue...).
Les conséquences potentiellement négatives sur la cohésion des équipes. Faut-il mesurer la performance individuelle ou collective ? Faut-il faire des comparaisons, quelles sont les conséquences de l’esprit de compétition ? Travaille-t-on les uns avec les autres, les uns à côté des autres, ou les uns contre les autres ?…Ne pas oublier également que le comportement des individus au travail est lié à la culture dont ils sont imprégnés. Nos modes de management à l’occidentale (importés des US) sont basés sur une culture individualiste. La motivation des hommes sera différente dans une culture qui privilégie le collectif. Le rapport à la hiérarchie a également son importance.
Cela ne doit pas nous décourager de nos efforts d’amélioration. Mais il ne faut pas être naïf , ne pas en faire un dogme qui justifierait toutes nos prises de décision. La mesure de la performance est indispensable mais doit être relativisée, prise pour ce qu’elle est, un outil. C’est ce que nous voyons mais nous ne voyons pas tout et nous ne savons pas tout mesurer.
C’est juste un projecteur qui éclaire une partie réduite d’un univers infiniment complexe.
Marie Hélène Millie
** Lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Maya Beauvallet : « Les stratégies absurdes, comment faire pire en croyant faire mieux) » ! Seuil 2009
Voir aussi : "Piloter les performances RH, la création de valeur par les ressources humaines" , B.Martory, C.Delay, F.Siguier. Editions Liaisons, 2008 .
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