Un grand nombre d’entreprises ont à présent publié leurs comptes 2012. Et parmi elles, les sociétés cotées et les sociétés dépassant le 1er seuil du décret 2012-557 du 24/04/2012 ont pour la première fois établi leur reporting RSE selon les modalités de la loi Grenelle 2. Quel bilan tirer de ce premier exercice ?
Les entreprises ont dans leur grande majorité publié des informations conformes à l’article 225 : à la fois sur la nature des indicateurs et sur l’ordre de présentation. Les études des cabinets d’audit convergent sur ce point. Cela montre une bonne anticipation des évolutions, rendue possible par la capitalisation d’expérience d’une décennie de rapports NRE.
En revanche, les modalités de contrôle et de vérification telles que prévues par la loi Grenelle 2 ont pris un certain retard, car l’arrêté correspondant a été publié tardivement (arrêté du 13 mai 2013 déterminant les modalités dans lesquelles l’organisme tiers indépendant conduit sa mission- JO du 14/06/2013). Les évolutions vont dans le sens d’une rigueur accrue à plusieurs niveaux. Le vérificateur pourra désormais procéder le cas échéant à des vérifications sur site. Il devra préciser le taux de couverture des informations testées (% des informations remontées et % des informations vérifiées). On s’achemine donc vers un reporting extra-financier plus fiable et plus proche des modalités du reporting financier.
Mais comment faire de ce reporting un levier de performance économique pour l’entreprise ?
Ce thème a été abordé le 27 juin 2013 lors d’une conférence organisée par Ernst&Young, qui avait invité pour l’occasion Total, Lafarge et GdF Suez à s’exprimer sur le sujet. Les auditeurs ont constaté sur les rapports du SBF 120 un grand respect du formalisme de la loi, mais peu d’objectifs chiffrés assortis d’un plan d’action (seulement 20% des rapports étudiés). Les indicateurs ne sont pas hiérarchisés en fonction de leurs enjeux économiques pour l’entreprise. Ils ne semblent pas être un reflet de la stratégie.
La RSE peut pourtant être une source de création de valeur économique (et financière). Elle ne doit pas être considérée comme un empilement de bonnes pratiques déconnectées du modèle économique de l’entreprise. Comment l’innovation dans les relations avec les parties prenantes (territoires, clients, fournisseurs, salariés, ONG, société civile, états…) peut-elle créer de la valeur économique…et comment cette valeur est-elle partagée entre ces mêmes parties prenantes ? C’est cela que doivent traduire les indicateurs…on mesure la distance qui reste à parcourir ! Car très souvent les rapports et indicateurs informent sur les actions et les coûts correspondants, mais pas sur les résultats faute de moyens de mesure convaincants. Ernst&Young propose dans une étude très pédagogique quelques clés pour mesurer les enjeux économiques des informations sociales et sociétales, balayant notamment le dialogue avec les parties prenantes, la supply chain, et l’éthique des affaires. Pour chaque thème : une prise en compte des risques, des enjeux, et des leviers de performance économique. Par exemple : quelles actions RSE mener pour faire accepter une implantation sur un nouveau territoire, ou bien quelles actions pour garantir la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement ? Les indicateurs doivent être sélectifs et illustrer précisément les points porteurs d’enjeux.
Cette approche nécessite toutefois à mon sens une adaptation précise au contexte de l’entreprise : les indicateurs proposés par Ernst&Young doivent être modulés selon le métier et la stratégie. Apprécier l’engagement des salariés à travers trois indicateurs synthétiques a du sens. Mais retenir uniformément comme significatif le taux de démission des salariés ayant moins de 3 ans d’ancienneté ne se justifie pas nécessairement dans des organisations construites sur un modèle de turnover rapide des jeunes diplômés (conseil, audit, SSII …).
Allons-nous vers une réconciliation de la RSE avec les perspectives financières ? Ces nouvelles approches ont été développées par M.Porter (Harvard Business Review février 2011) et Bob Eccles (Harvard Business Review mai 2013). Ce dernier a mené une vaste étude économétrique (plus de 3000 entreprises) sur les liens entre performance RSE et performance financière. Le lien existe, mais il ne semble avoir de sens positif que lorsque les actions RSE menées sont véritablement innovantes et en cohérence avec le modèle économique. Des « cartes de matérialité » peuvent ainsi être établies, secteur par secteur, pour mettre en évidence les points clés de chaque thématique RSE sur la performance économique (SASB’s Materiality Maps). Entre cynisme et angélisme, il s’agit de trouver la voie qui réconcilie les intérêts des parties prenantes.
L’actualité de ce jour nous donne une illustration concrète des effets de levier économique potentiels de la RSE. Nestlé annonce s’engager à employer 20 000 jeunes en Europe d’ici 2016. Dans les pays d’Europe du Sud avec un fort taux de chômage, le groupe a constaté une érosion de ses ventes. Marquer son engagement vis-à-vis de l’emploi, c’est marquer sa prise de responsabilité dans une Europe en crise, mais c’est aussi soutenir la consommation interne et donc la relève économique (« Lorsque les gens sont au chômage, ils changent immédiatement leur mode de consommation » dit M.Freixe, DG de la zone Europe de Nestlé dans Le Monde du 28/06/2013).
L’intégration de la RSE à la stratégie semble donc faire son chemin dans les entreprises, et le reporting doit précisément traduire cette intégration. Mais au-delà de la prise de conscience de nos dirigeants, qu’en est-il du déploiement de cette démarche sur le terrain, dans les structures opérationnelles des entreprises et dans les modes de management ?
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