Le 3 août 2007, un salarié français du groupe Total a été licencié en raison de son refus d’accepter une mutation au Nigeria. Marié et père de deux enfants, il justifie sa position par les mauvaises conditions de sécurité dans ce pays (un salarié de Total a justement été enlevé au Nigéria le 2 août 2007 !)
Pour Total, le "refus d'accepter une mobilité géographique à échéance d'un an vers le Nigeria constitue une violation (des) obligations contractuelles" du technicien. Cette mobilité, spécifiée dans "l'article 3 de (son) contrat de travail, se traduit par des missions tant en France qu'à l'étranger en raison de la nature des activités" du groupe Total. En conséquence la direction de Total déclare être "contrainte de procéder à son licenciement".
Depuis quelques jours, la polémique enfle sur Internet. Les commentaires des internautes vont de (je parle des commentaires les plus extrêmes) : « avec son salaire d’expat, il n’a pas à se plaindre ! Ce qui lui arrive est de sa faute ! » à « c’est une victime du capitalisme sauvage, celui qui exploite les travailleurs et cause des marées noires ! » .
Loin de moi l’idée de prendre partie dans ce débat subtil. Il me semble que nous disposons de trop peu d’informations dans cette histoire pour juger des relations entre ce salarié et son employeur. Je pense qu’il faut élargir le débat car ce cas particulier soulève de nombreuses questions :
- Sur le plan de la sécurité : personnellement, je trouve tout à fait légitime et humain de refuser un départ qui comporte un risque très élevé pour soi et sa famille, et ceci quelque soit la compensation financière. Cela n’engage que moi : peut être certains font-ils d’autres choix de vie, mais cela reste à mon sens une question personnelle qui n’appelle pas de jugement. Evidemment le métier de géologue dans l’industrie pétrolière présente des probabilités fortes de mutation dans des zones difficiles. Faut-il alors tout accepter en raison de cette fameuse clause de mobilité, ou faut-il changer de métier ? Et comment les entreprises peuvent-elles arbitrer entre la rationalité économique et la prise de risques sur le plan humain ?
- Sur la mobilité en général : là encore cela devrait rester un choix personnel. Jean Luc Cerdin (professeur à l’ESSEC, spécialiste GRH de la mobilité internationale, dernier ouvrage : « S’expatrier en toute connaissance de cause », Ed Eyrolles) distingue trois catégories de personnes. Les mobiles inconditionnels, toujours prêts à partir . Puis les mobiles conditionnels, qui ne partent que sous certaines conditions. Enfin les non mobiles inconditionnels, qui ne veulent pas partir du tout. Chacune de ces dispositions peut varier au cours de la vie (un jeune célibataire étant en général plus favorable à la mobilité qu’un parent de famille nombreuse). Du côté salarié, il est nécessaire de bien cerner sa réelle motivation et prédisposition à l’expatriation : ne pas partir à contre cœur surtout ! Les risques sont importants à tous points de vue : professionnel, personnel, familial… Du côté entreprise : pourquoi se priver des talents de certains salariés au prétexte que, à certains moments de leur vie, ils ne sont pas favorables à la mobilité ? Faut-il faire comme si les résistances et réticences (des salariés ou de leur famille) humaines ne comptaient pas dans la réalisation des objectifs ? Toutes les études réalisées sur le sujet montrent pourtant que la bonne réussite des missions à l’international repose sur une motivation non équivoque, une bonne préparation facilitant l’adaptation, et un accompagnement pertinent.
- Sur le plan juridique : n’étant pas spécialiste de ce sujet, je ne peux qu’en rester aux questions (j’en appelle à la participation des lecteurs compétents !). Il me semblait qu’une clause de mobilité géographique devait présenter des limitations dans l’espace pour être reconnue comme valable par les tribunaux. Dans le cas de Total la mention du contrat de travail (« missions tant en France qu’à l’étranger ») n’est-elle pas trop vague ? Ou bien peut-elle être acceptée en raison de la nature de l’activité ? Par ailleurs, à supposer que cette clause soit valable, que devient l’obligation contractuelle du salarié lorsque l’exécution du contrat met sa vie en danger ?
Cette affaire soulève ainsi plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. La plus difficile à formuler : dans quelle mesure un salarié a-t-il une réelle liberté de choix ?
MHM
Pour avoir une idée des débats en cours :
http://info.france2.fr/france/33254739-fr.php
http://www.leblogfinance.com/2007/08/total-licenci-p.html
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